Longtemps avant cette semaine de voyage j'avais fantasmé les goûts, les odeurs et les couleurs de la Venise du Nord. Avec certitude, son parfum se composait de cuir, de fumée de tabac à pipe, d'air iodé, de vieux papiers, d'orge, de houblon, de fumets de poisson, d'épices poivrées, d'herbes et de fleurs.
Les couleurs devaient être celles des reliures qui ornent ma bibliothèque, faites de maroquins du Levant aux grains de framboise, de chagrins au vert brulé, du parchemin aux fenêtres et des basanes surclassées par les cordouans mouchetés.
Le nez et les yeux font place à la bouche ; l'aigreur du bourgeois, l'amertume du buveur, la douceur de la prostituée et l'acidité de notre reflet dans sa vitrine composent le goût de cette ville. Tous ses ingrédients appelaient la concordance d'un repas.
Si Le ventre de Paris dépasse l'entendement - on se souvient de la scène du livarot -, celui d'Amsterdam n'est pas en reste. On peut y trouver des produits de grande qualité pour des sommes moins extravagantes qu'en France. N'hésitez pas à vous inspirer des étalages du très fréquenté marché Albert Cuypmarkt (il est préférable d'y aller tôt le matin) ; les produits locaux influenceront votre démarche culinaire. J'y ai constitué le menu suivant en l'honneur de nos hôtes, Paul et Hilde, que je remercie encore.
ENTREE - Maquereau fumé / Langoustine / 3 salades
Dans cette composition, j'ai souhaité opposer deux manières différentes de traiter des chairs issues de la mer. Le maquereau est fumé et aromatisé d'herbes et de poivre, la langoustine cuite à l'eau salée ; en bouche, l'ambiance d'un vieux "café brun" d'Amsterdam associée une promenade en bord de mer.
Les salades se déclinent en trois parties : la salicorne riche en sels marins offre du croquant à la chair de la langoustine et augmente la saveur iodée de l'ensemble, le Postelein (pourpier) est croquant, résistant au sécheresse et rappelle le goût des haricots et petits pois crus consommés au jardin. La roquette finit la trilogie de façon plus corsée ; son goût noisette et moutarde condimente le maquereau un peu plus.
Une émulsion de framboises fraîches (mixées et égrainées), vinaigre balsamique, sel et poivre du moulin apporte une touche acidulée à l'ensemble. La découverte du marché fût le pourpier, mais également l'oignon conservé en bocaux à la manière des cornichons. Son acidité est néanmoins bien inférieure à ces derniers, il est très doux, gouteux et croquant. Une assiette savoureuse, peut-être un peu brouillonne, mais c'est le charme de l'improvisation d'une cuisine de marché, d'une cuisine de vacances.
Cette entrée concrétise mon fantasme de la ville d'Amsterdam et ne peut en aucun cas être le reflet de la ville elle-même. Si modeste soit-elle, elle est la résultante de quinze années de pratique en restaurant français, de dégustation de plats en provenance de divers pays ou encore d'études de l'histoire de l'art ; en cela je citerais principalement ici le peintre flamand Pieter Claesz (1596-1661).
Ce plat (n')existe nulle part. Il a été réalisé quelque part et mangé pareillement, mais il n'illustre pas un lieu donné. Il est la fusion de divers temps et de divers lieux et évoque dans le réel ce qui n'est que fantasme. En cela, il peut se prévaloir d'hétérotopie.
PLAT - Saint-Jacques à l'unilatéral / Asperges vertes / Émulsion d'aneth
Dans ce plat les choses sont simples. La Saint-Jacques pour sa douceur, l'asperge pour son croquant, l'aneth pour sa fraîcheur. Les ingrédients doivent conserver toute leur identité.
Ainsi les noix sont assaisonnés, sel et poivre du moulin, puis cuites à l'unilatéral, c'est-à-dire d'un seul côté, peu de temps. Elles prennent alors une belle caramélisation et conservent leur texture tendre et non caoutchouteuse.
Les asperges vertes ne sont pas épluchées, on retirera juste le pied. Elles se cuisent à l'eau salé bouillante. Il convient d'en conserver tout le croquant et donc de ne pas les surcuire (vérifier à l'aide d'un couteau). Elles seront placées dans de l'eau glacée directement après cuisson afin de créer un choc thermique qui stoppera leur cuisson et fixera leur couleur.
Dans un bol mixeur, placer une botte d'aneth fraîche, une cuillère à soupe d'huile, deux cuillères à soupe d'eau fraîche, sel et poivre. Mixer jusqu'à obtention d'une émulsion homogène, puis passer à l'étamine fine.
Pour le dressage. Napper le fond de votre assiette de l'émulsion d'aneth froide. Poêler au beurre et à feu vif les asperges vertes, pas plus de 30 secondes, poivrer et dresser à votre convenance. J'ai moi-même ajouté quelques fines rondelles de champignons de Paris crus à la chair bien blanche. Comptez trois belles noix par personne, je les ai ici dressées sur un cercle de feuille d'algues séchées frit. On trouve ces feuilles un peu partout, elles servent à la confection des divers sushis (à savoir makizushi, temakizushi). Parsemer d'un peu de citronnelle fraîche et très finement ciselée, une impression étonnante en bouche et un clin d'œil visuel à ces coquillages blancs qui parasitent la coquille des moules. Enfin, une petite branche d'aneth.
DESSERT - Tarte aux pommes et raisins d'Amsterdam
Cette tarte a été réalisée par Hilde, notre hôte à Amsterdam. Elle a réalisé une pâte brisée contenant des zestes de citron. Une fois les pommes pelées, coupées en gros quartiers et épépinées, les mélanger avec du sucre et le jus du citron ayant servi pour les zestes. Faire gonfler les raisins de corinthe à la vapeur. Abaisser la pâte dans un moule beurré et fariné assez haut ; les tartes aux pommes hollandaises sont en effet d'un beau volume et généralement recouverte de pâte à l'instar des "apple pie" anglaise. Monter le tout et placer au four à 150°C aussi longtemps que vous le jugerez nécessaire.
Il s'agit d'une recette de tarte aux pommes très simple, mais qui fût une réelle surprise en bouche. Après avoir souvent eu le droit à des tartes lourdes, bonnes pour le goûter mais en aucun cas pour une fin de dîner, quel plaisir de savourer ce dessert là. Riche en fruits, sa fraîcheur est due à l'apport du citron et sa légèreté à l'absence d'appareil à tarte. Merci Hilde et à bientôt !
Nicolas A. A. Brun
(textes et photographies)